Dans son discours du 31 décembre 2017, le président Paul Biya a annoncé, en terme de réalisations dans le domaine éducatif, que la carte scolaire au Cameroun s’étoffait progressivement. S’il nous a été difficile d’avoir une idée claire sur cet « étoffement progressif » à cause de l’absence de chiffres clairs, il y a cependant un terme qui a retenu notre attention : « carte scolaire ».
Nous nous sommes demandé s’il existe une carte des établissements scolaires au Cameroun. Sachant l’importance de cet outil qui facilite la planification, le contrôle et l’orientation de l’éducation nous avons décidé de mener quelques investigations à ce sujet, dont les nous vous livrons les résultats dans cet article.
Pourquoi une carte scolaire ?
La carte scolaire « c’est un ensemble de techniques et de procédures utilisées pour planifier les besoins futurs d’éducation au niveau local et les moyens à mettre en œuvre pour satisfaire ces besoins » (Carte scolaire et microplannification, Françoise Caillods).
Une carte scolaire est donc un document qui peut se matérialiser par une carte sur laquelle sont signalés les établissements scolaires. Mais la carte scolaire ne se limite pas à ça. Elle doit également être « une vision prospective et dynamique de ce que le service éducatif, avec ses locaux, ses enseignants, ses équipements, devrait être à l’avenir pour permettre la mise en place des politiques éducatives ».
Pour faire simple, il s’agit d’avoir une vision globale des différents établissements scolaires dans chaque localité du pays (région, département, arrondissement) pour pouvoir mieux planifier la création de nouveaux établissements, l’affectation du personnel, la dotation en infrastructures, et même l’orientation de l’éducation.
Un document indispensable en somme, qui serait plus qu’utile au Cameroun où les problèmes de gestion du personnel sont récurrents, et où de nombreux établissements scolaires sont privés d’infrastructures ou de personnel adéquat.
Un projet qui date
Nos investigations nous ont permis de remonter jusqu’en 1995, date à laquelle un financement de la banque mondiale a été accordé à l’État camerounais pour améliorer l’éducation au Cameroun. Parmi les sous-composantes du projet figurait en bonne place l’« Amélioration du système d’information (géo-référencement des établissements, élaboration des tableaux de bord et des outils de suivi évaluation) écoles/établissements, de la gouvernance, de l’imputabilité (redevabilité) et du suivi-évaluation ».
Il s’agissait dans les détails, entre autres, de recruter « un consultant (firme) pour la mise en place d’une architecture unique du système d’information du secteur de l’éducation (SIGE) et d’une carte scolaire (géo-référencement des établissements). Nous étions donc à la bonne adresse.
Deux entreprises françaises pour réaliser le projet
Qu’est devenu ce projet ? Nous avons découvert en faisant des recherches que la réalisation du projet a bel et bien été confiée à deux entreprises, dès 1997 : le cabinet NC Consulting, entreprise basée en France et filiale du groupe international Jean Dupuch Export (JDE SA) et qui « intervient dans l’intérêt des gouvernements et des établissements scolaires publics en Afrique en général et plus particulièrement au Congo et au Cameroun ». La firme agit dans les secteurs des finances publiques, de la santé, de l’éducation, de l’administration du territoire, des transports, etc.
Rendus sur le site de NC Consulting nous avons vérifié que, en partenariat avec Eyra International, l’agence avait bel et bien en charge la mise en place d’une carte scolaire au Cameroun sur financement de la Banque Mondiale. L’étude était prévue pour 12 mois, pour un montant de 30 millions de francs CFA. D’après les informations disponibles dans le site de NC Consulting, les services que le cabinet fournirait seraient la conduite des travaux, les enquêtes sur le terrain, l’analyse des données et le rapport d’étude.
Sur le site web d’Eyra International, nous découvrons qu’il s’agit également d’un cabinet basé en France et qui appartient lui aussi au groupe JDE SA, avec les mêmes missions que le cabinet NC Consulting. Comme NC Consulting, Eyra International mentionne le projet de carte scolaire du Cameroun, avec exactement les mêmes services que ceux offerts par NC Consulting.
Où est donc passée la carte scolaire ? Difficile à dire. Nous avons voulu imaginer que la carte a été réalisée et livrée en 1998 par les deux entreprises sus-citées, même s’il n’existe aucun moyen de vérifier cette information. Cependant, d’autres éléments ont attiré notre attention, et nous ont amenés à conclure que le projet de 1997 n’avait peut-être pas été livré.
Nouvel appel d’offres
Nous sommes récemment tombés sur un document daté du 1er août 2017 et disponible sur le site de l’Agence de Régulation des Marchés Publics (ARMP). Il s’agit d’un appel d’offres restreint lancé en procédure d’urgence pour l’élaboration d’une… carte scolaire numérique géo-référencée au ministère des enseignements secondaires.
La première conclusion que nous avons tirée à la vue de ce document c’est que, soit le premier projet n’avait pas été exécuté, soit il avait été mal exécuté, pour qu’on soit en train de relancer une offre presque similaire (seul le terme « numérique » s’ajoute au nouvel appel d’offres). Cette fois-ci le coût prévisionnel est de 25 millions de francs.
La liste des prestataires retenus contient 5 noms : Geovectorix, ICC Soft SA, SOGEFI, Albatres ING et, fait à peine surprenant, NC Consulting. Nous n’avons aucune information sur l’attribution ou non de ce marché, mais tout porte à croire que, s’il a été attribué soit il est en cours d’exécution soit il n’a pas été exécuté (le délai d’exécution fixé sur l’appel d’offres est de 90 jours). Notons tout de même que, aucun des 5 prestataires présélectionnés, dont nous avons visité les sites web pour ceux qui en ont, n’a indiqué avoir réalisé ce marché.
Les « cartes scolaires » du Cameroun sur internet
Pour terminer, nous avons cherché sur internet pour savoir s’il y avait des cartes scolaires du Cameroun disponibles et exploitables. Nous espérions tomber sur la carte réalisée par l’une des entreprises citées plus haut pour le compte du Ministère des Enseignements Secondaires conformément à l’appel d’offres lancé en août dernier. Nous en avons trouvé quelques-unes, certaines plus complètes que les autres, mais aucune qui provienne de l’appel d’offres qui nous intéresse.
D’abord le site du MINESEC a un menu « Carte scolaire » qui malheureusement n’a aucun contenu. En explorant le site, nous avons découvert que pour chaque région, un tableau qui dénombre les établissements scolaires publics et privés par départements et arrondissements était disponible. Rien de plus.
Sur d’autres sites, nous avons eu plus de chance, notamment le site seduc-centre.org, qui permet de télécharger des fichiers PDF assez détaillés contenant des listes d’établissements scolaires du Cameroun, publics et privés, répartis par régions, départements et arrondissements. Malheureusement, ces données ne sont pas à jour car limitées à l’année 2014.
Le site memoiredecole.com propose également une liste intéressante mais incomplète d’établissements scolaires classés par régions, départements et arrondissements.
Enfin, le site schoolmapcm.org, plus complet que les autres, propose en plus de la liste d’établissements scolaires classés par régions, départements et arrondissements, une carte sur laquelle certains établissements géolocalisés sont visibles et des statistiques en plus d’autres informations concernant les établissements scolaires recensés.
Sur une note d’espoir…
Peut-être est-il trop tôt pour tirer des conclusions au sujet du récent appel d’offres qui a été lancé il y a moins d’un an. Nous l’espérons et souhaitons vivement que d’ici la rentrée scolaire prochaine une carte des établissements scolaires soit disponible et consultable afin que la planification, la gestion et l’orientation de l’éducation au Cameroun se portent mieux.
Je pense que l’appel d’offres restreint lancé en procédure d’urgence en 2017 prouve, dans sa formulation qu’aucune carte scolaire n’avait été réalisée auparavant. Je crois qu’ils auraient plutôt parler d’une « mise à jour » de la carte scolaire censée avoir été réalisée 20 ans avant. A moins que je ne me trompe.
Merci pour votre bel article!